Première paye (Zavatto)

Je venais tout juste de terminer mon entraînement journalier avec mes fauves, et autant dire que ce n'était pas été simple, aujourd'hui, ils étaient plus d'une humeur joviale que sérieuse. Ragar, le plus gros des mâles, et mon petit chouchou, m'avait sauté dessus pour jouer, le problème restait que cet animal pesait plus de 300 kilos, il fallait donc réagir vite avant de se faire écraser. Malheureusement, j'avais du me fâcher, et je détestais ça ! Ces animaux étaient comme des membres de ma famille et voir la tristesse dans leurs yeux lorsque l'un de mes grognements se faisait réprobateur me fendait le coeur. Enfin, je m'étais fait pardonnée en passant un peu plus de temps que prévu avec eux, et à présent, j'étais en retard pour aller chercher ma première paye. On ne pouvait pas dire que c'était le plus urgent étant donné que jusque là, je vivais quasiment en autarcie dans le cirque, mais ça me permettrait d'acheter une autre tenue de scène, celle ci avait déjà été réparer plusieurs fois, il faut dire que mes tigres n'étaient pas toujours les créatures les plus méticuleuses du monde. Enfin ce n'était pas le plus important, les gens venaient ici pour voir du spectacle, et je leur en donnais.

Dès que j'eus racompagné mes fauves dans leur cage, je me précipitais vers la roulotte du comptable Zavatto, un homme assez étrange, mais honnêtement, qui ne l'était pas ici? Je n'avais pas pris le temps de me changer, et mes vêtements étaient couverts du poils de mes fauves, mes cheveux en batailles, mon visage couvert de trace de terre et de bave de fauve, autant dire que je ressemblais à un enfant sauvage, mais ce n'était pas inhabituel. J'irais faire une bonne douche après ce rendez vous, je ne voulais pas me mettre encore un peu plus en retard, et de toute façon, la douche ne servirait pas à grand chose étant donné que je retournerais voir mes gros bébés après. Lorsque j'arrivais devant la porte de la roulotte, je restais quelques secondes à la fixer, me rendant compte que ce moment allait être l'apothéose de toutes mes heures de travail. Enfin j'étais un membre à part entière du cirque, et plus seulement "la fille de". J'avais encore un peu de mal à réaliser tout ça, mais j'étais vraiment en retard, aussi je frappais trois coups à la porte, attendant qu'on me donne l'autorisation d'entrer. Mon coeur cognait contre ma cage thoracique, j'avais l'impression que tout le monde pouvait l'entendre. J'étais bien plus stressée que lorsque j'entrais dans la cage de mes fauves, simplement parce que j'allais entrer dans l'univers des adultes, un monde qui m'était parfaitement étranger.

« De la paperasse, toujours de la paperasse ! »

Zavatto commençait à comprendre ce pourquoi il avait finalement été embauché par la Baronne Pumpkin au sein du Cirque. On lui avait attribué, il y a de cela quelques jours, la roulotte n°3. Pas la 4, et pas la 5, la 3. Il le savait et la voyante l’avait confirmé, le 3, c’était son chiffre porte bonheur. Toute sa vie tournait autours de ce chiffre : le nombre de femmes avec qui il avait vécu, le nombre de femmes qu’il avait quitté. C’était aussi le nombre de professeurs qu’il avait du corrompre pour obtenir son diplôme de comptabilité. D’un certain côté, on pourrait considérer que c’était le nombre de personnalités qu’il avait. Non ce n’était pas une schizophrénie poussée à un stade ultime, mais simplement un lunatisme exacerbant.

« Alors je veux la n°3, j’espère que c’est bien compris Madame Pumpkin ! »

Si seulement il avait visité les lieux avant de choisir… il aurait peut-être pu changer de numéro porte bonheur. *Arf c’est qu’un numéro après tout… Faut pas être superstitieux…* En ouvrant la porte, il comprit ce qui l’attendait. Un contrat avait été signé, des clauses précises avaient été acceptées. Il ne pouvait plus reculer, abandonner ce travail tout juste confié.

« Je compte sur vous pour mettre de l’ordre dans mes papiers et pour m’épauler », lui avait-on dit. Mais personne, Ô non personne ne lui avait précisé qu’il fallait mettre de l’ordre dans un foutoir absolu et complet. Une roulotte remplie de papiers, voilà son univers. Des injonctions de payer de tous les côtés, des factures, des devis, des contrats … Il fallait absolument tout revoir et tout ranger.

*Je mettrais le feu à tout ce bordel si ca ne tenait qu’à moi. Cas de force majeure, on me renverra toutes les factures et ce sera plus simple !*. Quel grincheux ce Comptable… Il se reprochait d’avoir été aussi crédule et idiot. Signer ce contrat, c’était comme acheter une maison sans la visiter. On lui avait promis la perfection, on avait oublié de lui signaler qu’elle était particulièrement subjective.
Un petit grognement, un pas pour entrer dans la roulotte et une porte qui claque. Il était entré dans son nouveau monde, pour les mois à venir. Mais seulement les quelques mois prochains, pas plus. Il s’était en fait déjà juré de démissionner à la minute même où son contrat le lui permettrait.

*La Baronne ne peut pas ranger ses papiers mais par contre, pour me faire signer un rédigé parfaitement, il n’y a aucun problème, évidemment…*

Zavatto trouva, dieu sait comment, un petit endroit où ranger ses affaires. Il se rendit également compte qu’un lit était disposé, sous un amas de feuilles éparses. Voilà la première mission qu’il s’était donné : dégager ce lit pour pouvoir y dormir le soir même. La tâche était rude, le travail fastidieux, mais s’il ne voulait pas passer sa première nuit sur un sol particulièrement poussiéreux et sur les devis de réparation de la toiture du Chapiteau, il n’avait pas d’autres choix. Seul un endroit était d’une propreté impeccable : le bureau. Et pour cause, personne n’avait du s’y assoir depuis belles lurettes.
A peine fut-il installé, que quelqu’un frappa à la porte. Passablement irrité, il fit mine de ne pas être là, afin qu’il puisse travailler. Puis on toqua à nouveau.

« ENTREZ », grommela-t-il, d’une voix à peine audible. Quelqu’un, ou quelque chose, se présenta sans sa roulotte, se faufilant pour arriver près de lui. Au fur et à mesure que Rakel s’approchait de lui, son odorat tirait la sonnette d’alarme. *Ce n’est pas humain comme odeur*.Il fermait également ses yeux pour, paradoxalement, essayer de donner un nom sur ce qui venait à se rencontre.

« Avant de parler, accompagnez-moi dehors. J’ai … vraiment envie de prendre l’air, j’étouffe ici ».

Il n’avait plus d’autre alternative que de l’entraîner dehors, s’il ne voulait pas, déjà, mourir asphyxier roulotte n°3. *Au moins, je n’aurais pas à ranger ca. Et puis, peut être qu’on donnera le nom à ma roulotte, ce serait un bel accomplissement dans ma vie*. Quelques grandes bouffées d’air dehors, les mains sur les hanches, pour reprendre ses esprits furent nécessaire avant que Zavatto se retourne vers son … interlocutrice disons. Une jeune femme, dont le talent serait d’être … sauvage ? On ne lui avait pas signalé que le cirque employait des êtres humains. *Il faudrait la remettre dans sa cage celle-là, ou en tout cas, dans une bonne douche*.

« Que puis-je faire pour … vous ? », suggéra-t-il. Sa principale préoccupation allait être sa réponse : avec la pluralité des nationalités, comprendre tout le monde était d’un difficile total. Il fallait à chaque fois trouver un interprète, et comme évidemment, il était le « Comptable » du Cirque, des plaintes, il en avait déjà entendu quelques unes, et ceci était loin d’être la fin.

« Si c’est pour un problème de douche, ou quoique ce soit de comparable, je ne suis pas le plombier de l’équipe. J’aimerais beaucoup vous aider mais je suis particulièrement occuper. La fin du mois arrive et il va être temps de payer les … ». Moment de blanc. Comment allait-il qualifier les membres du cirque de la Baronne. Des artistes ? Pas le moins du monde. Fallait dire qu’en fait, il n’était pas passionné par ce genre de spectacle mais que voulez-vous : Business is business, et un salaire est un salaire.
« … salariés du Cirque de la Baronne Pumpkin ».

Spoiler:

Figée devant la porte, j'attendais une réponse, me demandant si enfant j'étais déjà venue ici. J'en doutais après mûre réflexion, je ne passais pas beaucoup de temps avec mes parents, bien trop occupée avec mes fauves, ils me racontaient même souvent que j'avais appris à parler la langue des animaux bien avant de celle de notre propre espèce. Bien sûr, ça me faisait souvent sourire, mais je savais aussi que ça avait fait beaucoup de mal à mes parents, particulièrement mon père, ma mère, elle, me comprenait, étant donné que nous avions le même don. Mon père, lui, c'était différent, il était un véritable artiste, se qu'il présentait, il l'avait apprit, alors que moi et ma mère, c'était inné, c'était simplement notre nature. D'ailleurs je ressentais une certaine gêne à recevoir une paie pour ceci, j'en tirais énormément de plaisir et de satisfaction, c'était sans doute pour ça que je passais tant de temps avec mes animaux. Mais maintenant que mes parents étaient rentrés au Brésil, je devais subvenir à mes besoins, et à une partie de mes animaux, j'y tenais. Je sortis de mes pensées, remarquant que personne ne m'avait répondu, aussi je frappais une nouvelle fois, je ne tenais pas à perdre trop de temps avec tout ça, l'administratif, ce n'était pas vraiment mon truc.

Finalement, un "entrez" à peine audible se fit entendre, heureusement que j'avais une bonne ouïe. Mais en même temps il ne m'en fallut pas plus pour comprendre que la personne dans la roulotte numéro 3 ne devait pas être d'excellente humeur, peu importait, de toute façon, je n'allais pas m'éterniser. Après avoir pris une bouffée d'air frais je poussais la porte de la roulotte pour me retrouver dans un tout petit pièce dont l'air était saturé de poussière. La pièce était sombre, et j'avançais doucement, avec une méfiance propre aux animaux sauvages, mon regard chocolat fixé sur le comptable qui se trouvait derrière son bureau. Mon comportement n'avait rien d'hostile, j'étais surtout curieuse, c'était la première fois que je voyais cet homme, c'était le nouveau comptable, et à voir le bazar qui régnait dans cette pièce, il allait avoir beaucoup de boulot. Au premier coup d'oeil, je pus savoir que cet homme était quelqu'un que l'on appelait un homme ordinaire. Ce n'était pas difficile à comprendre étant donné le regard qu'il me jeta lorsque je fus assez proche de lui. Ce n'était pas très intelligent de ma part, j'aurais du aller faire une douche avant de croiser une personne qui n'était pas habitué à notre monde, pour lui je devais avoir l'air d'une folle ayant batifolé pendant de longues heures dans la forêt.

Le comptable ferma les yeux, et au moment où j'allais ouvrir la bouche, il me demanda de sortir de cette pièce, sans doute la meilleure chose à faire étant donné l'air saturé, il était clair qu'il faudrait plusieurs jours d'aération et surtout une bonne journée de ménage pour rendre cet endroit vivable. J'acquiesçais tout en faisant demi tour en direction de la sortie, et accordais un petit sourire à cet homme, plus par politesse qu'autre chose, j'étais plutôt tendue, n'aimant pas vraiment me trouver avec des gens normaux. Pour eux, nous n'étions que des monstres, du moins le plus souvent. Heureusement, ceux qui ne nous côtoyait que le temps du spectacle nous prenaient uniquement pour des artistes, sinon ils mettraient sans doute le feu à notre petit cirque. Une fois à l'air libre, je laissais le comptable profiter de l'air frais, bien contente de ne plus être enfermé, j'étais quelqu'un d'assez sauvage, je préférais de loin être à l'air libre, et les rares endroits clos que j'apréciais se trouvaient être le chapiteau et ma roulotte. Lorsque le comptable ouvrit une nouvelle fois la bouche, je fus surprise de la perfection de son français, la plus part des personnes que je côtoyais avait de forts accents et encore pour ceux qui parlaient français. Moi même, j'avais un léger accent venant de mon pays d'origine, le Brésil, et même si je parlais plusieurs langues, c'était toujours le portugais qui ressortait lorsque je m'énervais. J'allais lui répondre lorsqu'il se mit à me parler de douche, une légère grimace déforma mon visage et je reniflais discrètement mes cheveux.

"Não, rien à voir avec les douches, je viens justement pour la paye, la Baronne m'a demandé de passer. Je suis peut être en avance, c'est ma première paie, et je ne voudrais pas vous déranger."

J'étais très mal à l'aise, mais faisait mon possible pour que ça ne se voit pas, mais à mon avis, c'était peine perdue.